Malgré sa présentation léchée, sa bande son onirique et son casting de célébrités, nous avons tous été surpris par le succès inouï de Clair Obscur: Expedition 33. Personne ne s’attendait à ce qu’un jeu typé JRPG classique, quelle que soit sa qualité, puisse fasciner les critiques ainsi que le grand public. Le secret derrière cette réussite pourrait bien être qu’Expedition 33 n’est en réalité pas tout à fait un jeu au tour par tour, mais un hybride entre le JRPG traditionnel et le Souls-like. Une subtilité qui est certainement parvenue à convertir des néophytes au genre, mais qui selon moi engendre les plus gros problèmes du jeu.
En surface, Expedition 33 ressemble à un jeu au tour par tour. À tour de rôle, nos personnages et les ennemis vont pouvoir entrer une action à effectuer. Le détail en plus dans le jeu de Sandfall est que pendant l’animation qui s’ensuit, le joueur a la possibilité d’appuyer sur un bouton au bon moment pour soit infliger plus de dégâts ou éviter des dommages dépendant de s’il attaque ou défend. En soit, ce système a déjà été vu dans le genre auparavant; Final Fantasy VIII, Vagrant Story ou les RPG Mario sont connus pour ceci. L’idée est de rendre l’aspect tour par tour plus actif et moins “ennuyeux”. Là où Expedition 33 se démarque est qu’une défense réussie prévient entièrement les dégâts au lieu de les réduire.
Avec une telle mécanique, le système de défense du jeu ressemble davantage à celui d’un jeu de From Software qu’à celui d’un JRPG. Quand l’ennemi attaque on nous donne l’option d’esquiver, ce qui est difficile à effectuer, ou de parer, encore plus difficile à effectuer. Les deux réduisent les dommages à 0, mais la parade offre de gros bonus offensifs. À noter qu’il n’y a pas de possibilité de garde pour réduire les dégâts; soit on se prend l’attaque de plein fouet, soit on ignore complètement son effet, il n’y a pas d’entre-deux.
Ce système de défense, à lui seul, est déjà problématique. La gestion de ressources est un des piliers des jeux au tour par tour. “Est-ce possible de survivre à ce donjon avec ce nombre de points de vie?” ou “Dois-je attaquer ou me soigner ce tour?” sont des questions qu’on se pose habituellement avec les jeux de ce genre. Dans Expedition 33, la réponse est toujours Clair; on peut survivre à tout, alors pourquoi rebrousser chemin et pourquoi se soigner? N’importe quelle autre action qu’aller de l’avant et attaquer est une admission tacite d’un manque de confiance en ses habilités. J’exagère un peu pour faire comprendre le point de vue, mais le fait est que la gestion de ressources est presque entièrement gommée du jeu.
C’est une problématique classique des jeux d’action. Ils offrent la possibilité de ressortir de n’importe quelle confrontation sans se prendre un seul point de dégât. Tant qu’on esquive ou qu’on pare tout, tout ira bien. La différence majeure est qu’un jeu d’action est en temps réel, on y jongle l’attaque, la défense et le placement en même temps. Une attaque trop appuyée peut par exemple rendre une parade impossible ou une esquive trop prudente peut nullifier la possibilité d’une contre-attaque. Ce n’est pas le cas de Clair Obscur; une parade sera toujours possible et notre attaque sera toujours assurée. C’est tout le problème que pose l’hybridation entre le tour par tour et le temps réel.
Je reviens sur l’option de la garde qui est absente d’Expedition 33, mais un des grands piliers des options défensives dans les jeux d’action. Typiquement, la garde peut-être effectuée très facilement mais vient avec un petit malus; soit quelques “chip-damage” ou des options de contre-attaque réduites. Dans un format tour par tour, la garde ne trouve pas sa place. Si elle est trop facile à effectuer, elle ne remplit pas l’objectif de rendre le tour par tour plus dynamique et si elle coûte des points d’actions elle rend les combats réellement ennuyeux. Sandfall se retrouve à avoir copié le système de défense des Souls-like, mais il lui manque l’un des 3 piliers qui le maintient. Il en résulte un jeu mécaniquement très instable. Au lieu d’avoir une option facile, moyenne et difficile; on a juste les options difficiles et très difficiles.
Cette instabilité se ressent facilement en combat. Si on réussit notre défense, on gagne les combats avec une facilité déconcertante et si on les rate on se retrouve rapidement au dernier checkpoint. Sandfall était bien au courant de ce qu’ils faisaient et ont équilibré leur jeu en conséquence. Parce que les options défensives sont tellement fortes, les ennemis frappent encore plus fort et leurs animations d’attaque sont souvent fourbes. Ceci équilibre les combats d’un point de vue du rapport de force entre le joueur et ses adversaires, mais les déséquilibre d’un point de vue priorités et rendent certains affrontements frustrants. Au final, la seule action importante des combats est de réussir sa défense, tout le reste est sans réelle importance. C’est bien malheureux, car les systèmes de combat au tour par tour sont très intéressants. Quand l’aspect principal d’un système de combat est un test de réactivité, sommes-nous encore en train de jouer à un jeu au tour par tour?
Le problème s’accentue quand on laisse tomber les esquives pour faire des parades. En plus de supprimer les dégâts, les parades donnent des points d’action et de puissantes contre-attaques gratuites. Avec ceci, la majorité des mécaniques de combat passent par la fenêtre. Le système au tour par tour est prévu pour que chaque personnage prenne quelques tours pour mettre en place leur combos pour maximiser les dégâts; il faudrait gérer le nombre de points d’action ainsi que la ressource propre à chaque personnage. Si les parades sont réussies, on se retrouve avec trop de points d’action et avec les dégâts additionnels des contre-attaques nos adversaires se font rayer de la carte avant qu’on ait le temps de mettre un place nos combos.
En fin de compte, Clair Obscur: Expedition 33 tente de fusionner deux genres de gameplay fondamentalement incompatibles: le tour par tour et le temps réel. Bien que cette tentative soit audacieuse et apporte des éléments intéressants, elle crée également des déséquilibres notables dans l’expérience de jeu.
PS:
J’ajouterais encore qu’il y a très peu de pénalité à mourir et que cela n’aide pas le design déjà trop orienté vers l’offensive (comme la défense est complètement gérée par les parades). Sandfall a repris beaucoup d’éléments des Souls-like, y-compris les “Estus Flasks” et les feux de camps, mais s’est retenu d’instaurer une pénalité de Game Over. Il manque donc un garde-fou pour décourager les builds complètement orientée sur les dégâts.
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