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La critique pure de jeux vidéo

L'anatomie du Battle Royale

L’anatomie du Battle Royale

Cent personnes sont parachutées sur une île… Ainsi va la chanson pour décrire le phénomène qu’est le Battle Royale. Débuté l’année passée à peine, le succès fulgurant de ce nouveau mode de jeu a complètement retourné le marché du jeu vidéo sur sa tête. Les leaders ne sont aujourd’hui plus les jeux dont la formule a été affinée depuis le début des années 2000, mais les nouveaux venus Playerunknown’s Battlegrounds et Fortnite. Même les grands de l’industrie tel que Call of Duty et Battlefield se sont résignés à les copier pour goûter à l’enthousiasme de ce nouveau genre. Cette révolution est due à une idée simple, mais efficace, qui fonctionne diablement bien pour le jeu vidéo. D’une perspective purement gameplay, je vous propose d’analyser les éléments récurrents au genre pour mieux comprendre ce qui a généré cette explosion de popularité. Pourquoi 100 joueurs? Pourquoi des parachutes? Pourquoi toujours des armes à feu? Explorons!

Tout le monde comprend le concept du Battle Royale: des personnes sont lâchées sur une île et leur objectif est d’être le dernier survivant. Les règles de base ne sont pas plus complexes que cela, et pourtant c’est déjà à partir de ce niveau que les fondamentaux sont mis en place. Dès cet énoncé, on comprend tout de suite qu’il ne peut pas y avoir de respawn et qu’il y a de bonnes chances que les joueurs essayent de s’entretuer. Comme nous allons le voir tout au long de cette analyse, les mécaniques et règles supplémentaires que l’on associe souvent à ce mode ne sont que le développement logique du concept.

H1Z1 est le premier Battle Royale à succès. Il a perdu une grande partie de sa population depuis la sortie de PUBG

Une structure renversante

La plus grosse révolution du Battle Royale est subtilement cachée dans sa description. L’objectif est de survivre. La survie n’est pas un objectif original en soit, c’est d’ailleurs indirectement l’objectif de presque tous les jeux vidéo. Toutefois, habituellement, on ne peut pas gagner simplement en survivant, même si mourir revient à perdre; et c’est là que se démarque le Battle Royale. Le changement de paradigme peut sembler léger, mais il structure le déroulement de toutes les parties. Dans les faits, on voit une inversion de l’importance entre tuer et survivre. Alors que traditionnellement on essaiera de survivre pour pouvoir tuer plus, dans les Battle Royales, on tue pour mieux survivre.

L’effet le plus notable de ce changement est de résoudre l’un des plus gros problèmes de game design dans les jeux compétitifs. Pendant des années, les studios de jeu ont essayé de trouver une solution au fait qu’il n’est pas amusant d’être en train perdre, le plus souvent en introduisant des mécaniques de come-back qui peuvent s’avérer frustrantes pour les meneurs ou des systèmes de progression personnels qui s’étendent au-delà d’une simple partie. La solution du Battle Royale est plus simple et plus élégante: on n’est jamais en train de perdre. S’il est vrai qu’une partie n’est pas perdue tant qu’elle n’est pas finie, on connait tous ce sentiment de défaite qui enfle lentement et qui démolit notre motivation de continuer. Perdre n’a jamais été le problème, le problème est de se savoir vaincu et d’étirer cette période sur plusieurs minutes. Dans le Battle Royale, on en est complètement défait. Tant qu’on est en vie, même tout nu et à moitié mort, on est en train de remplir l’objectif tout aussi efficacement que le joueur avec 50 kills et armé jusqu’aux dents.

Tant qu’on est en vie, on est aussi toujours en train de gagner, simplement parce qu’en continuant de ne pas mourir pendant assez longtemps, on aura gagné la partie. Ceci rend même les moments les plus calmes palpitants. Le moment que tout le monde redoute d’un Battlefield, par exemple, est celui où on court pendant plusieurs minutes juste pour se faire tuer instantanément dès que l’action commence. Ces moments arrivent aussi dans les Battle Royales, mais la structure de ces modes respectifs changent complètement notre manière de les appréhender. Dans Battlefield on a passé du temps à ne rien faire pour aider son équipe et ce temps a été complètement perdu alors que dans un Battle Royale on avançait activement vers la victoire. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que tous les Battle Royales affichent visiblement le nombre de joueurs encore en vie et le kill feed. Un frag, où qu’il soit, est une progression pour tous ceux qui n’ont pas été fragués.

PUBG est le jeu qui a fait connaître le genre.

Un rythme palpitant

De jeu en jeu, le tempo change mais l’idée reste la même. On est coincé sur une île avec beaucoup de personnes qui préféreraient que l’on soit mort. Le terrain de jeu est vaste et il a donc fallu trouver des moyens pour forcer des rencontres entre les joueurs et ne pas laisser la partie devenir un paradis pour campeurs. À part la prudence, l’équipement est le meilleur moyen d’augmenter ses chances de survie et les Battle Royales se servent de cette mécanique pour rassembler les joueurs. C’est pourquoi on ne trouve d’équipement que dans les bâtiments qui sont souvent regroupés en villages ou en villes pour attirer un maximum de personnes plus avides de loot que prudentes. Ce concept de créer des points d’intérêts pour les joueurs semble être celui qui subit le plus de variation d’un Battle Royale à un autre. Les colis aériens qui annoncent leur position bien avant d’atteindre le sol en sont une autre incarnation populaire. Les Battle Royales plus récents implémentent aussi des NPCs ennemis qui protèges les endroits plus riches en trésors les rendant encore plus dangereux puisqu’il faut faire feu et donc dévoiler sa position pour pouvoir looter.

Les mécaniques de pistage sont le deuxième moyen de forcer des rencontres entre les survivants. Pas tous les joueurs ne veulent rester passifs en attendant la fin de la partie. Certains, que ce soit par soif de sang ou par avidité de loot, vont activement chasser leurs adversaires et leur mécanique principale pour le faire sera le son. Un coup de feu résonnera à des centaines de mètres, donnant aux ennemis aux alentours une idée vague de son positionnement, et lancera potentiellement une poursuite. Que ce soit volontaire ou malgré eux, les joueurs laissent derrière eux des traces de leur passage. Une arme sans munition, une porte ouverte, une fenêtre cassée, un véhicule mal placé, un cadavre sans équipement, des constructions ou des matériaux farmés, chacun de ces éléments donne des informations à de potentiel poursuivants pour nous tendre une embuscade. D’autant plus que notre destination est souvent connue: “la zone”.

Le mode Battle Royale de Fortnite est un des plus grands jeux du moment.

Le dernier moyen pour assurer que le joueur le plus prudent rencontrera le joueur le plus agressif est la limitation progressive du terrain de jeu. Les joueurs sont graduellement chassés des bords de la map pour les concentrer en un seul point où le combat final aura lieu. Bien que l’idée de réduire le terrain de jeu au fur et à mesure de l’avancement de la partie n’est pas particulièrement originale, elle s’avère très efficace en terme de gameplay. En plus de fixer une limite de temps raisonnable à la partie, elle incite les joueurs plus passifs à sortir de leur zone de confort pour se déplacer vers la zone de fin. La zone est la plupart du temps un cercle qui se rétrécit par phases. Certains jeux comme Fear the Wolves ou Radical Heights ont tenté des grilles qui perdent leurs cases progressivement, mais cette idée reste moins populaire puisqu’elle pousse moins au contact entre les joueurs qui emprunteront des trajectoires plus parallèles pour atteindre la zone. Les déplacements sont de loin les moments où l’on est le plus vulnérable et ce sont ces moments qui créent le jeu. Quand la zone se ferme, simultanément sur toute la map, la masse de joueur se resserre sur la zone jouable. L’action de base a beau n’être qu’un simple déplacement, notre attention est complètement mobilisée. On entend des coups de feu, le feed de kills s’active et on voit des ennemis juste trop loin pour pouvoir les engager. Rien ne se passe réellement mais la tension est là. On sait pertinemment qu’une seule rafale suffit à nous sortir de la partie et que si on a vu passer des adversaires, c’est aussi sans doute qu’un adversaire nous a vu passer. Ce suspens nous suit jusqu’à ce qu’on ait atteint la nouvelle zone où après quelques instants de répit tout sera à refaire. Cette progression par palier fonctionne extrêmement bien pour rythmer l’aventure et faire monter la tension d’un cran à chaque fois. Effectivement, les ennemis restants sont plus aguerris et mieux équipés, la zone est plus dangereuse que jamais et on s’est investi dans la partie. On a du bon loot et on n’a pas arrêté de gagné jusque-là, pas vrai?

Une aventure narrée par les joueurs

Chaque partie embarque le joueur dans une réelle aventure dont il est le héros. Dès les premiers instants, il est libre d’agir comme il le souhaite. Grâce à son objectif très générique, la liberté d’action permise par le Battle Royale est presque inégalée dans le multijoueur compétitif. C’est là que les parachutes entrent en jeu, ils permettent de sélectionner dynamiquement le style de partie que l’on veut jouer selon l’endroit où l’on atterrit. Plutôt calme ou plutôt chaos? Bord ou milieu de zone? C’est au joueur d’en décider. Une liberté d’action qui permet à tout le monde d’adapter l’expérience à ses attentes et qui touche un plus gros public.

La customisation de son expérience ne s’arrête pas là. Le loot permet d’avantage de choisir sa manière de procéder pour être le dernier survivant. L’espace d’inventaire limité force le choix d’armes et d’équipements et ne permet pas d’être à l’aise dans toutes les situations; il faut choisir un plan d’action et s’y tenir. Ces décisions sont souvent cruciales à notre succès et ces jeux laissent le temps de les prendre. Ainsi, chaque moment de jeu semble être une conséquence à une décision prise consciemment et non dans le feu de l’action. Ce ne serait bien sûr pas une aventure si tout se passait selon notre dessein. D’autres joueurs et la malchance modèlent le déroulement des parties et l’adaptation rapide du plan décidera si l’on survit ou non. Les victoires et les défaites ne sont pas que décidées par sa capacité à bien viser, mais aussi par la prise de décision. Cette couche stratégique permet toujours une réflexion en fin de partie sur ce qu’il s’est bien passé ou pas et de situer le moment clé où tout a mal tourné. Cette sensation de toujours pouvoir faire mieux est centrale au succès du jeu compétitif.

Call of Duty Black Ops 4 sortira avec un mode Battle Royale nommé Blackout.

Un combat contre les probabilités

Tous les joueurs d’une partie de Battle Royale commencent leur aventure avec des chances égales, c’est à eux de trouver de l’équipement et de s’en servir au mieux. Il y a bien sûr un aspect de chance puisque le contenu des différents endroits de loot est généré aléatoirement. Avant même d’être un combat contre d’autres joueurs, le Battle Royale est un combat contre la chance, il faut savoir survivre avec ce qu’elle veut bien nous distribuer. C’est d’ailleurs la meilleure explication que l’on peut trouver pour la popularité des 100 joueurs, plutôt qu’une puissance de 2 comme dans la plupart des autres jeux multijoueurs. En lançant une partie on a une chance sur 100 seulement de gagner, soit un pourcent, une unité qu’on a l’habitude d’utiliser et qui veut universellement dire “pas beaucoup”. C’est cette petite chance de succès qui rend les victoires tellement plus savoureuses et qui fait qu’on en redemande constamment.

La loi du plus fort

Comme nous l’avons vu plus haut, le loot sert à inciter les survivants à ne pas simplement rester croupis dans une salle de bain en attendant la fin du jeu. Dans la plupart des cas, il est impossible de gagner une partie sans au moins une confrontation directe avec un adversaire pendant laquelle tout équipement amassé au long de la partie pourra faire la différence. Un des plus gros objectifs du jeu est donc d’obtenir le meilleur équipement possible. L’équilibrage de l’utilisation et de la récupération de l’équipement est donc primordial. Plusieurs éléments sont en place pour pousser vers des tactiques de jeu plus agressives, tout en conservant un équilibre dans les combats.

Évidemment, l’élément qui pousse le plus à chasser les autres joueurs est la possibilité de récupérer de l’équipement sur leur cadavre, ce d’autant que plus la partie avance, plus le butin sera bon. Après tout, pourquoi fouiller une ville entière quand on peut juste fouiller le cadavre de la personne qui l’aura fait pour nous? Les ressources de la carte ne sont pas infinies et au fil de la partie, les chances de trouver du bon équipement au sol seront réduites. Pour rester à niveau, le plus judicieux est de chasser les autres joueurs. Pour ne pas que cette chasse ne s’arrête avant la dernière zone, le loot doit être designé de manière à ce qu’un joueur puisse toujours améliorer son matériel. Ceci est fait à travers des raretés d’armes, des objets et des matériaux consommables qui finissent toujours pas s’épuiser.

Battlefield V aura aussi un mode Battle Royale, Firestorm, en cette fin d’année.

L’équipement est étroitement lié à la gestion de la santé des personnages. Effectivement, tous les Battle Royales ont un système de soin par objets consommables et un système d’armure. L’équilibre sur ces éléments doit être finement confectionné pour à la fois équilibrer les combats, mais aussi favoriser le jeu agressif. La récupération de points de vie est un des plus gros avantages que puisse conférer un inventaire bien fourni, puisqu’on est virtuellement invulnérable tant qu’on peut trouver du temps pour se soigner. Pour contrecarrer cet avantage, les dégâts doivent avoir une certaine persistance, celle-ci est souvent modelée par l’armure qui se dégrade et qui est plus difficile à remplacer. Il faut aussi que cette dégradation ne soit pas trop importante pour que l’armure de l’adversaire puisse être récupérée après le combat.

Fortnite et ses potions d’armure illustrent bien cette mécanique. À ses débuts et avant le succès phénoménal du jeu, il existait seulement une grosse potion d’armure qui donnait 50 points de vie bonus jusqu’à un maximum de 100. Ces potions d’armure étaient relativement rares et ne pouvaient quasiment jamais être trouvées sur des adversaires puisque tout le monde les consommait immédiatement. En conséquence à cela, si on avait 100 points d’armure, la meilleure approche était d’éviter tout combat au risque de ne pas pouvoir les récupérer si le combat tournait mal. Pour régler le problème, Epic a rapidement introduit les mini potions qui donnent 25 points d’armure jusqu’à un maximum de 50, mais qui se trouvent par groupes de 3, il en reste donc toujours une inutilisée dans l’inventaire pour le survivant d’un éventuel duel. Ce tout petit changement a bien changé le jeu pour le rendre plus dynamique et a sans doute contribué à sa réussite. La beta du mode Blackout de Call of Duty Black Ops 4 semblait souffrir du même problème où tuer un adversaire revenait bien trop souvent à exterminer son armure dans la foulée. En fin de partie, les joueurs offensifs se retrouvaient souvent sans armure puisqu’il devenait de plus en plus difficile d’en récupérer. On pouvait voir d’excellents joueurs avoir énormément de mal à gagner des parties à cause de cette équilibrage. Il sera intéressant de voir comment Treyarch tentera de contourner ce souci.

Techland a beaucoup retravaillé la formule Battle Royale avec Bad Blood, certains éléments clés n’y figurent pas.

Les plus gros Battle Royales sont tous des shooters, même si vraisemblablement, n’importe quel type de gameplay pourrait être adapté à ce genre. On peut donc se demander ce qui fait le succès des armes à feu dans ce cas. La réponse est plutôt simple, en fait, les shooters remplissent naturellement beaucoup des points presque essentiels au genre. Si la seule règle immuable est qu’il faut être le dernier survivant, il y en a beaucoup d’autres qui apparaissent comme des conséquences au principe de base. Si on ne veut pas que tous les joueurs soient instantanément les uns sur les autres, un grand territoire devient un évidence, et les combats à distance sont largement favorisés dans ces cas. Comme on l’a vu, le son des armes est aussi un élément clé pour repérer les adversaires et faire grimper la tension. Pour que la chance ne soit pas le facteur décisif dans les affrontements, ceux-ci doivent aussi avantager le meilleur joueur quel que soit l’état de l’inventaire de chacun. Il faut toujours qu’on ait l’impression d’avoir une chance! Cette qualité est finalement assez propre aux shooters dans le domaine compétitif.

Les éléments couverts dans ce dossier ne représentent pas tous les points qui font le succès des Battle Royales, surtout que chaque jeu à succès a ses propres arguments indépendamment du genre. Le but était de montrer que l’explosion de popularité dont nous parlons depuis une bonne année n’est pas due au hasard. Le Battle Royale est non seulement une formule qui fonctionne particulièrement bien dans le jeu vidéo mais elle est aussi très travaillée. On n’est pas prêt de la voir partir.

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